J’ai beaucoup hésité en sélectionnant les disques cette semaine, mais pas aujourd’hui. Un peu de background : Jeff Rosenstock est un des héros de la scène punk DIY new-yorkaise des années 2000-2010. Sévissant d’abord avec les Arrogant Sons of Bitches – groupe de ska-punk un peu grossier mais très fun – puis dans Bomb The Music Industry!, dont la démarche éthique et accessible (musique en ligne et concerts à prix libre, merchandising bring-your-own-shirt) a un peu fait de l’ombre à la qualité folle du songwriting (allez écouter ADULTS!!! et Vacation). En 2014, Rosenstock dissout BTMI! pour se mettre à son compte et s’ensuit une discographie ancrée dans le pop-punk et la power-pop, portée par une voix foireuse et la candeur personnelle, politique et romantique de l’auteur.
WORRY. est le troisième opus de cette séquence et est, à ce stade, considéré comme la manifestation la plus aboutie des thèmes évoqués au travers de sa discographie : la peur de mal vieillir, le dégoût et l’acceptation de soi, survivre et aimer dans le hellscape aseptisé du techno-capitalisme. La gentrification rampante est une préoccupation majeure sur WORRY. Staring Out the Window at Your Old Apartment collectionne les réflexions d’un passant regardant à travers les fenêtres de l’ancien appartement d’une copine après que celui-ci ait été vidé de ses habitants, minablement rénové puis reloué pour trois fois plus cher : le proprio a beau avoir accroché des planches de surf décoratives, il ne s’est quand même pas fait chier à réparer les problèmes structurels de la bâtisse. Wave Goodnight to Me traite du même thème de façon plus uptempo et anthemic. J’ai eu le privilège de voir Jeff lors d’une résidence de 9 concerts à Brooklyn cet été et la réaction à ce morceau de la part des Brooklynites déplacés de force dans le New Jersey était un des trucs les plus viscéraux que j’ai pu ressentir lors d’un concert. Un euphorique mélange de colère, de solidarité, de cris du cœur, de sueur, de jambes dans la gueule, de joie et de tristesse décrit par une compère de pit ainsi : “It was everything”. Les concerts de Rosenstock sont l’antithèse d’un autre thème largement abordé sur WORRY. : la difficulté de créer des connexions humaines à l’ère du tout-connecté, sachant que ce sont ces connexions et elles seules qui seront salvatrices dans ce qu’il décrit comme des Blast Damage Days.
L’album se termine avec sa pièce maitresse: un medley de 8 morceaux de moins de deux minutes réexplorant de manière complètement effrénée les thèmes traités sur la première face. On passe du pop-punk au punk hardcore au ska en quelques secondes. C’est quasi-psychotique et évocateur d’une nuit sans sommeil et paranoïaque. Malgré tout, le jour finit toujours par se lever et là où le début du medley hurle l’aliénation, ses derniers instants nous permettent de jubiler dans l’acte de défiance qu’est l’amour: “It’s not like the love they showed us on T.V. It’s a home that can burn, it’s a limb to freeze. It’s worry. Love is worry.” Permettez-moi un dernier hot take: c’est le plus grand medley depuis Abbey Road.
Pour les fans de:
– Être le dernier des potes à se la coller en semaine.
– Voir son squat se faire remplacer par un café “artisan”.
– Imaginer les gens spontanément lâcher leur téléphone dans le métro et se faire des hugs.
Top #20 de la journée |
---|